L'arche russe (Русский ковчег)
Synopsis
Accompagnant un visiteur étranger, l'écrivain Astolphe de Custine (Sergei Dontsov), le narrateur de L'arche russe (Alexandre Sokourov) parcourt, sans être vu des personnages qui peuplent les lieux, le musée de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg. Lors de sa visite, son chemin croisera des figures marquantes de trois cents ans d'histoire russe, comme le tsar Pierre le Grand (Maksim Sergeyev), l’impératrice Catherine II (Natalya Nikulenko) ou Nicolas II (Vladimir Baranov).
Fiche technique
Film russe, allemand
Année de production : 2002
Durée : 1h36
Réalisation : Alexandre Sokourov
Scénario : Boris Khaimsky, Anatoli Nikiforov, Svetlana Proskurina, Alexandre Sokourov
Image : Tilman Büttner
Avec Sergei Dontsov (Astolphe de Custine), Natalya Nikulenko (Catherine II), Vladimir Baranov (Nicolas II), Maksim Sergeyev (Pierre le Grand)...
Critique
L’arche russe est tout d’abord bâtie sur un incroyable tour de force technique, qui offre au spectateur une expérience visuelle unique : un plan-séquence de 96 minutes, mettant en scène des centaines d’acteurs et de figurants. Le tournage de ce film réalisé d’un seul souffle, pour reprendre l’expression du cinéaste, s’est déroulé le 23 décembre 2001, après quatre années de préparation. Seuls quelques plans ont été retouchés numériquement, tels celui évoquant le blocus de Saint-Petersburg pendant la Seconde guerre mondiale, avec cette galerie aux fenêtres penchées et envahie de neige. Ou encore celui montrant, à la fin, la véritable nature du musée de l’Ermitage : une arche au sens biblique du terme, c’est-à-dire un lieu où est préservé la culture russe, donc la vie même de cette Nation.
Mais le travail d’Alexandre Sokourov va bien au-delà de cette simple prouesse. Il dit d’ailleurs lui-même que le plan-séquence d’une heure et demie n’est qu’un outil. L’arche russe est aussi, et avant tout, une vision somptueuse et nostalgique de l’histoire de la Russie. Somptueuse, par la splendeur du lieu où se déroule le film (qui est filmé comme une œuvre d’art), par le raffinement des éclairages et des costumes. Plusieurs plans peuvent à cet égard être cités en exemple : celui où l’on voit Catherine II courir dans le jardin enneigée ; celui mettant en scène un groupe de jeunes filles (parmi lesquelles la fille du tsar Nicolas II, Anastasia) dansant dans une galerie du palais, gracieusement enveloppées dans des voiles pastels qui les font ressembler à des papillons... ou à des anges.
Nostalgique, lorsqu’il met en scène la famille impériale ou le bal final, ce dernier apparaissant comme l’acte ulitme et élégant d'un monde qui disparaitra bientôt. D’ailleurs, les participants à cette fête semblent pressentir qu’ils ne reverront plus ce lieu, la plupart cherchant avidement (ou désespéramment) du regard à en conserver le souvenir dans leur mémoire. Ces fantômes d’un passé glorieux quittent alors le palais par le grand escalier du Jourdain, dans une longue procession lente et solennelle, qui donne à la scène l’apparence d’un enterrement : celui de l’histoire d’un pays dont le cinéaste nous raconte la lente et inévitable dégradation.
L’arche russe est également une évocation de l’attirance de la Russie pour l’Europe, et de l’indifférence mêlée d’arrogance de celle-ci envers la première, dédain qu'incarne à merveille le marquis de Custine au début du film. Mais les préjugés de ce dernier -et peut-être ceux du spectateur- s'estomperont à mesure que sa connaissance de la culture russe s'affinera. Ainsi, en découvrant la salle où sera bientôt reçu l’ambassadeur de Perse, concédera-t-il : votre architecte Stassov n’était finalement pas si mauvais. Il aime la discipline, mais laisse de la place pour respirer. Son expression mélancolique à la fin du bal témoigne aussi de l'évolution de ses sentiments. Il a l’air perdu et paraît lui aussi regretter la disparition imminente de ce monde, qu'il jugeait avec tant de sévérité dans son livre. D’ailleurs, au narrateur qui l’invite à quitter la salle de bal, à aller droit devant nous, il répondra qu’il préfère rester...
Un grand et beau film donc, mais qui pourra paraître à certains difficile d’accès en raison des choix esthétiques du réalisateur et de la connaissance qu’il nécessite de l’histoire russe.
Ma note - 4/5