Le jour se lève
Synopsis
Sur une place, dans une banlieue ouvrière, s'élève un immeuble vétuste. Au dernier étage, un coup de feu retentit. Un homme sort aussitôt d’un logement. Blessé au ventre, il trébuche, roule et tombe dans l'escalier. La police arrive bientôt sur place. Mais quand elle se présente devant la porte de l’appartement, plusieurs coups de révolver répondent à ses sommations. Le tireur s’appelle François (Jean Gabin). Retranché dans sa chambre, dans l'attente d'un ultime assaut des forces de l'ordre, il va se souvenir des jours qui viennent de s'écouler…
Fiche technique
Fim français
Année de production : 1939
Durée : 1h33
Réalisation : Marcel Carné
Scénario : Jacques Viot, Jacques Prévert
Image : Curt Courant, Philippe Agostini, Albert Viguier, André Bac
Avec Jean Gabin (François), Jules Berry (Valentin), Arletty (Clara), Jacqueline Laurent (Françoise), Mady Berry (La concierge), René Génin (Le concierge), Bernard Blier (Gaston)...
Critique
La réussite du Jour se lève repose sur la conjonction exceptionnelle de nombreux talents. Au-delà du génie de Carné, on retiendra ainsi le remarquable travail du directeur de la photographie, Curt Courant, qui avait auparavant travaillé, entre autres, avec Fritz Lang (La femme sur la Lune), Alfred Hitchcock (L’homme qui en savait trop) ou Jean Renoir (La bête humaine). Son approche expressionniste de l'image sublime les décors d'Alexandre Trauner, lequel, en concevant sur une place au caractère encore champêtre un bâtiment tout en verticalité, anticipe l'évolution future des banlieues ouvrières. Le spectateur goûtera également la verve poétique des dialogues signés Prévert :
Clara (Arletty), parlant de Valentin - Vous avouerez qu'il faut de l'eau dans le gaz et des papillons dans le compteur pour être restée trois ans avec un type pareil !
François (Jean Gabin), s'adressant à Valentin - Il est gratiné, le père. Il met sa fille au garde-meuble (l'Assistance publique) et puis, 15 ans après, 20 ans plus tard, il revient sur la pointe des pieds, des larmes dans les yeux, pour faire quoi, je vous le demande, des leçons de morale !
Clara (Arletty), s'adressant à François - Des souvenirs ! Est-ce que j'ai une gueule à faire l'amour avec des souvenirs ?
L'interprétation est au diapason, notamment celle de Jean Gabin, figure centrale du film. Derrière son sourire doux et triste, on soupçonne une violence contenue, mais prête à tout moment à se déchaîner. Ainsi que le remarque sa bien-aimée, il est comme son ours en peluche, avec un œil gai et l'autre un tout petit peu triste. Les tourments de son personnage sont par ailleurs parfaitement illustrés par la partition de Maurice Jaubert, sorte de mélopée rythmée évoquant les battements d'un cœur, pour reprendre l'expression de François Porcile, à qui l'on doit une passionnante analyse de la musique du film (à lire sur ce site). Arletty est également parfaite d’ironie cruelle. On retiendra particulièrement cette scène où, par dépit de voir François incapable d’oublier la jeune fleuriste, elle lui révèle comment Valentin remercie les femmes qui lui ont cédé : C'est Valentin qui ma l'a donnée [une broche]... Ça te choque ? Il en avait un stock... Alors, je lui ai pris son p'tit stock, pour qu'il en achète d'autres... Tu veux les voir ? C'est pas difficile ! C'est un lot, c'est une affaire... Et c'est joli... Ça vient d'Italie... Tiens, regarde, c'est beau comme tout ! Il en donne une à chaque femme qui couche avec lui... Elle en a une aussi, la petite (Françoise), hein ? Des mots qui feront vaciller François, qui avait cru trouver dans l'amour une échappatoire à sa misère...
Le jour se lève se distingue également par le caractère audacieux, pour ne pas dire révolutionnaire, de sa construction, puisqu'il est l'un des premiers films parlants à rompre avec la traditionnelle linéarité du récit, en recourant au flash-back (deux ans avant Citizen Kane) par le biais de fondus enchaînés. Un procédé si déroutant pour les spectateurs de l'époque que les producteurs du film jugèrent utile de faire précéder chaque séquence l'utilisant d'un texte explicatif.
Mais en plus de ses qualités artistiques, Le jour se lève est aussi -à l'instar desTemps modernes de Charlie Chaplin, sorti trois ans plus tôt- une critique du progrès industriel, qui broie les ouvriers, les déshumanise. Ainsi, dans l'usine qui les emploie, François et ses collègues, dans leur tenue de protection et derrière leur masque, n'ont plus d'identité. Et dans cette atmosphère inhumaine, même les fleurs apportées par Françoise dépérissent. La scène où François, penché à sa fenêtre, hurle à la foule qui se presse au bas de son immeuble son désespoir (autant sentimental que social), est à cet égard bouleversante, car elle illustre avec force la violence faite à ses semblables :
Qu'est-ce que vous regardez ?
Qu'est-ce que vous guettez ?
J'suis pas une bête curieuse, moi ! Qu'est-ce que vous attendez ? Ah ! vous attendez que j'saute ! Ah ! un assassin, c'est intéressant un assassin ! J'suis un assassin ! Mais les assassins, ça court les rues ! Y'en a partout ! Tout le monde tue ! Tout le monde tue un p'tit peu ! Seulement, on tue en douceur, alors ça s'voit pas ! C'est comme le sable, c'est en dedans ! Là, en dedans (il frappe sa poitrine) !
Alors, foutez le camp ! Foutez le camp ! Allez-vous en ! Rentrez chez vous, vous lirez ça dans le journal ! Ça sera imprimé ! Tout sera imprimé ! Tout ! Et puis vous le lirez ! Et puis vous le croirez ! Parce que, dans les journaux, on raconte tout ! Hein ! Y sont bien renseigné les journaux ! Allez, foutez le camp, vous allez attraper froid ! Débinez-vous ! Laissez-moi seul ! Tout seul, vous entendez ! J'veux qu'on m'foute la paix ! La paix ! J'suis fatigué ! J'ai plus confiance ! C'est fini ! Fini, vous entendez !
A noter que ce film fut interdit quelques mois après sa sortie par les autorités de Vichy, qui le jugeaient trop démoralisant. Un plan montrant Arletty sous sa douche fut en outre censuré... et jamais remonté depuis 1939. Il ne subsiste de cette séquence qu'une photographie, reproduite dans l'ouvrage de Joseph-Marie Lo Duca, L'érotisme au cinéma (Jean-Jacques Pauvert).
Un mot, enfin, sur les éditions DVD du Jour se lève. Celle proposée par Studio Canal est assez décevante, avec une image faiblement contrastée et une bande son parfois à peine audible. Côté bonus, l'éditeur assure un service minimum, avec seulement la bande annonce de l'époque et la présentation de la Collection Gabin. L'édition commercialisée par Criterion (zone 0) n'est pas plus riche en supplément. Le packaging est cependant plus séduisant.
Album du film
Ma note - 5/5