Synopsis
Brandon (Michael Fassbender) vit seul dans un vaste appartement, à quelques pâtés de maisons de Wall Street. Toute son existence est organisée autour de son addiction au sexe. Mais un jour sa sœur, Sissy (Carey Mulligan), arrive sans prévenir à New York et s'installe chez lui. Brandon aura le plus grand mal à supporter cette présence, qui bouleverse ses habitudes de vie...
Fiche technique
Film britannique
Année de production : 2011
Durée : 1h41
Critique
Ma diatribe contre le cinéma britannique -voir We need to talk about Kevin- m’avait valu quelques remontrances de la part de camarades blogueurs. Certains se disaient gênés par ma généralisation. Peut-être me soupçonnaient-ils de britannophobie… Je me garderai de démentir cette hypothétique accusation, car ce serait lui donner une importance qu'elle ne mérite pas et une forme de réalité. D’autres m’invitaient à découvrir l’œuvre de réalisateurs que je ne connaissais pas. Parmi les noms les plus souvent cités figurait celui de Steve McQueen. Je n’ai toujours pas vu Hunger. Mais avec Shame, je suis en mesure d’apprécier enfin son style. Hélas, ce n’est pas ce cinéaste qui me réconciliera avec la production cinématographique anglaise ! Sans doute me répliquera-t-on, comme pour le film de Lynne Ramsay, que l’action de Shame se situe aux Etats-Unis et que ses thématiques n’ont rien de spécifiquement britanniques. Il n’empêche, Steve McQueen est originaire de Londres et ce long métrage produit au Royaume-Uni. Il est donc représentatif de ce que ce pays est capable en matière de Septième art…
Avant de passer aux critiques, reconnaissons tout d’abord l'élégance visuelle de Shame. Son auteur est un artiste plasticien. Cela se ressent dans la composition de chaque plan, dont le premier, très pictural, qui nous montre Brandon étendu sur un lit, le corps en partie recouvert d’un drap gris-bleu au plissé somptueux : on dirait un Christ d’une scène de Déploration. Je n’ai pas dit défloration, bande d’obsédés ! Bon, j’espère que cette boutade un tantinet impie ne me vaudra pas l’invective des catholiques intégristes, très actifs en ce moment... Mais fermons cette parenthèse.
McQueen et son chef opérateur, Sean Bobbitt (qui a surtout travaillé pour la télévision), jouent sur les contrastes entre couleurs chaudes et froides. C'est le cas, par exemple, quand Brandon attend l’ascenseur au rez-de-chaussée de sa résidence : son manteau tranche avec le fond mordoré du couloir. Il y a quelque chose de vermeerien -voir La jeune fille à la perle, par exemple- dans cette alliance chromatique antithétique. Ce qui me fait penser à un texte de Proust : Enfin [Bergotte] fut devant le Ver Meer qu'il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu'il connaissait, mais où, grâce à l'article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu […] et la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune (La prisonnière).
Shame convainc également lorsque McQueen met en scène la misère affective de Brandon. Son addiction au sexe est triste. Elle ne lui procure à l’évidence aucune satisfaction, si ce n’est éphémère. Car très vite, le besoin –dans son cas, ce n’est pas un désir à assouvir, avec tout ce que cela comporte de stimulation, mais une simple nécessité organique morbide à apaiser- renaît, occupant tout le champ de sa conscience. Une dépendance est une prison mentale dont on s’échappe moins facilement que d’une geôle faite de murs…
Malheureusement, le réalisateur parvient si bien à nous faire ressentir la vacuité de l’existence de son héros que ce spectacle fait naître en retour un ennui assez puissant (j’ai eu le même sentiment en regardant Lady chatterley de Pascale Ferran). D’autant que ce film comprend un certain nombre de scènes sans intérêt. Au premier rang desquelles je citerai celle où l’on nous montre Brandon en train d’uriner. Non pas que je sois pudibond. Je ne vois néanmoins pas en quoi cette séquence nourrit l’histoire. Elle me paraît gratuite. Sauf à supposer que Steve McQueen ou Michael Fassbender soient paraphiles et prennent leur pied dans la pratique de l’ondinisme…
Autre moment tout aussi inutile, celui où Sissy chante New York New York. Inutile et insipide ! Car on a en tête la version de Liza Minnelli dans le film de Scorsese. En sorte que l’on a envie de bousculer un peu Carey Mulligan (même si Fassbender s’en charge très bien tout au long du film !), afin d'insuffler de l'énergie à son interprétation mollassonne de ce classique. Je sais, c'est du jazz vocal. Mais c'est d'un barbant!
Et puis il y a ce final où la rame de métro dans laquelle se trouve Brandon est stoppée par ce que l’on suppose être une tentative de suicide. Il se rappelle alors que, quelques jours auparavant, sa sœur s’amusait à se pencher sur le bord du quai. Et de se précipiter jusqu’à son appartement, où il la trouve baignant dans son sang. Mais que le lecteur de cette chronique se rassure : il sauvera la jeune femme, devenue soudain plus essentielle à sa vie que ses hormones… Désolé pour ce spoiler, toutefois il était nécessaire pour faire comprendre le côté lourdaud de cette conclusion en totale dissonance avec ce qui précède. Comment croire, en effet, à cette brusque renaissance de l’instinct familial chez Brandon, qui un peu plus tôt dans le film a tenté d’étrangler Sissy… Steve McQueen aurait dû s’arrêter au moment où son héros regarde sur le quai de la station de métro le brancard recouvert d’un drap : cela laissait au spectateur la possibilité de construire une autre fin, moins guimauve.
Shame aurait dû être un vertige sensoriel. Cependant, en raison du traitement quasi clinique de son sujet, il ne provoque pas le moindre trouble. Un comble ! Pourtant, Michael Fassbender donne beaucoup. Reste un bel objet agréable à la rétine, mais aussi un brin ennuyeux. On retiendra aussi l’interprétation de Carey Mulligan, qui offre une prestation intéressante (sauf lorsqu’elle pousse la chansonnette !), a des lieues des personnages sages et timides qu'elle incarne habituellement. Bref, un film un peu vain, que certains esprits turpides ne manqueront pas de rapprocher -à tort !- de Drive (qu'à l'inverse, j'ai beaucoup aimé). Je les vois venir ! Et je me prépare à leur répondre…
Ma note - 2,5/5