Take shelter
Synopsis
Curtis LaForche (Michael Shannon) mène une vie paisible avec sa femme (Jessica Chastain) et sa fille. Jusqu’au jour où il devient sujet à d’effrayants cauchemars. Visions prémonitoires d’une apocalypse imminente ou manifestations ataviques d’une schizophrénie en train de se développer ? Son comportement de plus en plus irrationnel fragilise bientôt son couple et provoque l'incompréhension de ses proches. Rien ne peut vaincre la terreur qui habite son esprit…
Fiche technique
Film américain
Année de production : 2011
Durée : 2h00
Réalisation : Jeff Nichols
Scénario : Jeff Nichols
Image : Adam Stone
Avec Michael Shannon (Curtis LaForche), Jessica Chastain (Samantha LaForge), Tova Stewart (Hannah LaForge), Shea Whigham (Dewart)...
Critique
La richesse de Take Shelter, film à la frontière des genres, rend l’exercice du critique difficile. N’ayant pas le lyrisme de certains de mes camarades blogueurs, ni leur esprit d’analyse, je dirais, pour en donner une idée juste, qu’il est une sorte d’hybride –fécond- entre The tree of life (chronique familiale), Black Swan (récit schizophrénique) et Melancholia (conte apocalyptique). En quelque sorte, il est une synthèse des œuvres les plus singulières –quoi que l’on pense de leurs qualités- de l’année 2011. Ce qui devrait suffire à contenter les cinéphiles les plus exigeants. Ou, du moins, susciter leur curiosité.
La peur de Curtis LaForche est à l'image de celle que nous pouvons ressentir, en Occident, face à un monde en mutation. Ce n’est évidemment pas la première fois que le cinéma se fait l’écho de telles angoisses. Il le fait parfois d’une manière directe, parfois sous forme symbolique. Les raisins de la colère, dont j’ai fait il y a quelques temps la chronique, empruntait la première voie, en évoquant les infortunes d’une famille de petits fermiers de l’Oklahoma frappée par une triple crise, économique (la Grande Dépression), technologique (la mécanisation agricole) et environnementale (les tempêtes de poussière, ou Dust Bowl, provoquées par l’érosion des sols).
Notre époque connaît des bouleversements étrangement semblables. Nous les appréhendons toutefois d’une façon très différente d'il y a 70 ans. A supposé, bien sûr, que l’on accrédite la vision développée ici par Jeff Nichols, ce qui est mon cas. Ainsi, dans le film de Ford, les Joad avaient-ils foi en la possibilité d’un avenir meilleur en Californie, en dépit de leurs difficultés. Leur migration avait certes pour corollaire le déracinement, l’éclatement de la cellule familiale, mais aussi la solidarité et la volonté de se battre, de s’en sortir collectivement. L’anxiété contemporaine se traduit par le repli sur soi. Le salut de l’individu n’est plus ailleurs, ni avec les autres, souvent regardés comme une menace (voir Contagion) : il est sur sa terre (et même sous, dans un abri), avec ses plus proches parents. Malgré son cynisme –où sa trop grande lucidité, c’est selon le point de vue- et son désir de rompre avec son entourage, Justine, l’héroïne de Melancholia, n’agit pas différemment, puisque c’est aux côtés de son neveu et de sa sœur, dans la propriété de celle-ci, qu’elle affronte l’Apocalypse.
Notre époque connaît des bouleversements étrangement semblables. Nous les appréhendons toutefois d’une façon très différente d'il y a 70 ans. A supposé, bien sûr, que l’on accrédite la vision développée ici par Jeff Nichols, ce qui est mon cas. Ainsi, dans le film de Ford, les Joad avaient-ils foi en la possibilité d’un avenir meilleur en Californie, en dépit de leurs difficultés. Leur migration avait certes pour corollaire le déracinement, l’éclatement de la cellule familiale, mais aussi la solidarité et la volonté de se battre, de s’en sortir collectivement. L’anxiété contemporaine se traduit par le repli sur soi. Le salut de l’individu n’est plus ailleurs, ni avec les autres, souvent regardés comme une menace (voir Contagion) : il est sur sa terre (et même sous, dans un abri), avec ses plus proches parents. Malgré son cynisme –où sa trop grande lucidité, c’est selon le point de vue- et son désir de rompre avec son entourage, Justine, l’héroïne de Melancholia, n’agit pas différemment, puisque c’est aux côtés de son neveu et de sa sœur, dans la propriété de celle-ci, qu’elle affronte l’Apocalypse.
Cette métaphorisation de nos angoisses me paraît psychologiquement pertinente, car, avec l’affaiblissement du sentiment religieux, la fin du communisme (un rapprochement sans doute baroque, néanmoins tous deux ont apporté à leur façon de l’espoir –souvent déçu- à ceux qui souffraient), un capitalisme de moins en moins vaillant et la mondialisation, on peut avoir l’impression aujourd’hui qu’il n’existe plus aucun secours idéologique dans la société pour supporter les incertitudes du futur, ni aucun lieu pour échapper au danger. A moins de faire l’autruche… comme Curtis en se réfugiant dans un abri anti-tempête… Mais il est temps que je mette un terme à mes divagations pseudo-philosophiques, aussi prétentieuses que maladroites…
Le scénario de Take shelter se déploie avec beaucoup d’intelligence, d’autant que son auteur entretient l’ambigüité sur l’origine des visions de son héros jusqu’au final, voire au-delà (je ne parle pas de l’avant-dernier opus de Clint Eastwood !), chacun pouvant avoir sa propre interprétation… La mise en scène est d’une classe absolue, évitant les débauches d’effets à la Nolan ou à la Emmerich. Pas besoin d’une technologie démonstrative pour plonger dans l’esprit et les cauchemars de Curtis : le regard de Michael Shannon suffit à exprimer son désarroi et sa terreur. Pas besoin non plus d’une orgie obscène de pixels pour évoquer la fin des Temps, comme dans 2012. L’imagerie eschatologique de Jeff Nichols, sublimée par la photographie d’Adam Stone -déjà présent sur Shotgun Stories, le premier long métrage du cinéaste- est à la fois simple et angoissante : des éclairs irradiants un ciel de plomb, des gouttes de pluie ambrées, le reflet d’un vortex dans une vitre… La dernière scène est d’une beauté sidérante -encore un point commun avec le dernier Lars von Trier…
Curtis, bouleversant dans son désir de protéger les siens, effrayant dans son obsession, tout autant que pathétique dans son vain combat intérieur contre sa déraison (une folie qui le conduit à dépenser l’argent économisé pour l’implant cochléaire de sa fille dans les travaux d’extension de son abri), est superbement incarné par Michael Shannon, qui porte littéralement le film. A ses côtés, Jessica Chastain offre une prestation lumineuse, peut-être la plus émouvante de sa carrière. Son personnage est à l’opposé de Ronnie Neary dans Rencontres du troisième type. A la différence de cette dernière, qui fuit le comportement délirant de Roy, elle conserve pour Curtis de l’empathie, le soutient, notamment lors de la réunion du Lions Clubs. Les deux acteurs forment ici un magnifique couple.
Take shelter est une pure merveille, dont j’ai probablement mal rendu compte. J’ai en effet le sentiment de m’être en peu perdu dans d'improbables analyses… Je signale tout de même, avant de conclure, que Shotgun Stories est sorti en DVD chez Potemkine en décembre dernier. Au moins, avec cette information, aurai-je fait œuvre utile…
Ma note - 4,5/5
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